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Rencontre 5 avec Denis 29 mai 2021



Les « zabitudes »


Question 1 : Qu'est-ce qu'une habitude ? A quoi ça sert ? Et comment en changer ?

Denis : Est-ce vraiment une question ? Pour toi qui est informaticien, les habitudes en informatique, on appelle ça des routines. Ce sont des suites d'actions, de paroles, etc... qui servent à simplifier la réflexion et à raccourcir le raisonnement. Donc, les habitudes ne sont jamais négatives en soi puisqu'elles ont toujours une fonction, un usage, et elles ont toujours été utiles pour avancer. Elles ne sont négatives potentiellement que si elles empêchent un mouvement qu'on voudrait différent ou si, tout d'un coup, elles ne plaisent plus mais continuent à fonctionner. Sinon, en soi, il n'y a pas de mauvaises habitudes. Il n'y a que des habitudes inadaptées au projet. Donc, les habitudes, c'est bien.

A part ça, effectivement, dans la Pédagogie du Mouvement, ce qui est intéressant, c'est que la plupart des habitudes motrices, dynamiques que nous avons, nous ne les avons pas réfléchies. On les a eu par apprentissage imitatif ou réactif,...Ce qui compte, c'est de savoir qu'on les a. L'ennui de ces routines-là, c'est qu'elles peuvent être handicapantes pour un mouvement, un choix de geste et sans le savoir. Donc le jeu n'est pas de changer les habitudes mais d'arriver à comprendre, du moins c'est comme ça que je l'entends, comment on fonctionne, comment on pourrait fonctionner. De manière à être libre de faire un choix et de créer les habitudes les plus fonctionnelles pour le moment.



Il n'y a donc pas de mauvaises habitudes, seulement des habitudes potentiellement inappropriées au changement. Le seul intérêt qu'il peut y avoir à changer une habitude gestuelle ou autre, c'est de trouver mieux pour l'objectif qu'on se donne. C'est pour ça que l'on propose, dans la pratique du Tai Chi, des mouvements différents. On fait des expériences sensibles pour qu'il y ait une perception éventuelle de quelque chose de « mieux » ou de plus « confortable » ou de plus « respirant » ou de plus «  efficace » par rapport à ce qu'on veut. Mais tous les gestes du Tai Chi ne seront pas forcément appropriés à ramasser un billet de 500 euros à l'arrière de la voiture pendant qu'on conduit. Il faudra trouver d'autres moyens.

Par contre, pour le confort, la respiration, la circulation en général, c'est clairement souvent plus efficace, plus agréable pour soi. Cela rapproche de cette autre question :



Question 2 : J'ai mon dos qui est comme ça (démo), j'ai une cambrure, comment faire pour « lâcher » ?

Denis : Une fois de plus, on fait ce qu'on veut. On peut cambrer, etc... par contre ce n'est pas forcément la position la plus fonctionnelle. Les positions que nous avons, nous les avons acquises par l'histoire, l'imitation, l’opposition, par tout un ensemble d’éléments. Ce que propose le Tai Chi, ce sont des positions neutres, c'est-à-dire un peu « idéalisées ». Elles ne sont pas forcément adaptées à la personne à un moment donné. Car la personne a des compensations nécessaires ou d'autres gênes possibles. Elles sont simplement là pour arriver à voir, par différence, où nous en sommes et si c'est bien cela que nous voulons. Ce n'est pas la position la plus intéressante que l'on a « naturellement » (avec notre histoire), mais l’évaluer permet par rapport à une position différente, de voir dans quelle position on est soi, et si cela est, ou non, le plus adapté à ce que l’on veut.

Et je crois que plus on est débutant et plus on a besoin de ces positions neutres, sans s'occuper de les réaliser mais pour apprendre où on est … « Qu'est-ce-que je fais de mon pied, etc... »

Cet après-midi, en formation, on s'occupait de « comment fonctionnait la conduction du mouvement dans la cuisse ». Et quelques personnes se sont aperçu que jusque là, elles n'avaient pas des jambes mais des « poteaux ». Et du coup qu'elles avaient plein de possibilités dans leurs jambes qu'elles ignoraient. Et ce sont des personnes qui pratiquent depuis longtemps. Arriver à comprendre comment ça marche, comment ça pourrait marcher, permet de voir que l'on a peut-être des limitations que nous nous donnons et qui ne sont peut-être pas tout à fait appropriées. Et ça peut aboutir à des sensations intéressantes : pouvoir bouger autrement, plus économiquement, plus agréablement.

Donc, pour revenir à cette idée d'habitude, c'est important de questionner les habitudes pour voir si elles sont intéressantes. Peut-être que pour les questionner, il faut démonter le mouvement pour se donner la liberté de le remonter ensuite, à l’identique si c'était bien, ou autrement si c'est mieux, mais librement. Ce qui compte pour changer, quand on le souhaite, c'est une motivation légitime. C'est pour ça que je trouve inintéressant de demander un mouvement qui serait « juste » ou «  parfait » qui n’existe que dans les livres. Il est plus intéressant de proposer de « faire comme cela » pour obtenir cela : davantage de respiration, tranquillité, équilibre, souplesse, autre chose … Et que chacun apprécie, ou non, vérifie, pour lui, la justesse de la proposition.

Pour prendre un exemple personnel, je ne suis pas souple du tout, plutôt tonique. Mais avec le Tai Chi, et encore maintenant, je gagne plein de « choses » qui vues de l'extérieur sont des souplesses. Mais je ne suis pas « souple ». J'utilise de manière plus confortable pour moi, plus agréable pour le mouvement, plus efficace, ce que j'ai déjà. Je n'ai pas « changé », je me suis « optimisé », pour moi, pour le plaisir. C'est plus agréable de pouvoir mieux se baisser, mieux respirer . C'est plus agréable de se sentir mieux. C'est pour ces projets là que c'est intéressant de changer d'habitude. Sinon, on peut aimer nos habitudes . Certaines sont agréables.


Question 3 : Et mon dos ?

Denis : Peu importe que tu fasses comme tu fais. Ce qui est intéressant, c'est d'apprendre à tisser autrement pour voir si tu serais mieux avec, et à ce moment-là de le choisir. Et si tu le choisis, il va falloir effectivement, à un moment, abandonner la routine. Il faut avoir envie que ce soit mieux. Si c'est juste pour faire plaisir au « prof » ou suivre ce que le mouvement dit, cela ne suffira pas. Mais le chemin, on le trouve toujours quand on le cherche.



Question 4 : Quel est le rôle de l'attention  précisément ?

Denis : Il y a des enseignements qui ne se font que dans la généralité. On fait confiance au « feeling ». Mais le feeling est quelque chose qui, en soi, est une propension de soi. Donc je vais apprendre avec ce que j'ai déjà. Pour accueillir du nouveau, il faut trouver un moyen de « détourner le contrôle habituel » pour que des choses inattendues soient montrées par l'extérieur ou bien, si elles sont rangées très profondément, puissent apparaître. Si je ne « détourne pas le contrôle habituel », c'est comme au cours d’une argumentation. Quand quelqu'un dit quelque chose de différent, on répond avec ses propres arguments. Donc, on n'amène rien de neuf si on ne fait pas entrer le différent. Après, c’est la perception intérieure qui peut choisir ce qui est le plus fluide pour elle sans la limite des routines…


De la même manière, pour l'apprentissage d’un mouvement, on va amener l'esprit à un endroit précis. Plus il est précis, dans la limite de ce qui est précis pour quelqu'un, et plus ça va laisser tout le reste oeuvrer aux conséquences globales tranquillement, à partir d’un point clair. Et donc, par exemple, on va focaliser sur le pied, sur la main, sur un petit mouvement du doigt, de la hanche, du genou. On fait focaliser la pensée sur quelque chose. D'abord parce qu'en soi, ce n'est pas inintéressant, car localement la personne va pouvoir comprendre comment ça marche. Et du coup, il se passe des changements inattendus ailleurs. Les gens qui pratiquent depuis un moment s'aperçoivent que quand il y a beaucoup d'attention sur quelque détail du bas, tout à coup, des choses ont bougé dans le bras, dans la tête, dans le mouvement, ailleurs. C'est ailleurs finalement que ça bouge le plus. Car, quand la pensée se pose sur quelque chose, ça le fige. Localement, on comprend mieux, mais on peut beaucoup moins fabriquer de mouvement. Donc, il y a une espèce d'oscillation permanente entre la concentration sur un point, puis sa libération. Pendant qu'on est concentré sur ce point, d'autres choses bougent ailleurs. Et au moment où ça se libère, c'est intéressant d'être concentré ailleurs, justement pour qu'il puisse vraiment se libérer et que le travail de représentation, de compréhension qui a été fait sur place puisse se développer tout seul dans la liberté de ce qui a été créé. Pour ça, il y a un vieux texte chinois gravé sur une pierre qui est vraiment le mode d'emploi :

Avoir l'attention

Puis concentrer l'attention jusqu'à en avoir l'intériorité, très forte.

Puis, contrôler l'application de cette intériorité.

Et quand le germe est là, alors lâcher le contrôle et le laisser se déployer.

Il y a ce travail de concentration qui permet au reste de fonctionner pendant tout ce temps là. Mais le vrai travail, la vraie libération, le vrai changement, ne se fera pas pendant ce travail de contrôle. Il se fait pendant qu'on part vers autre chose et qu'à ce moment-là, quand on lâche, ça fonctionne tout seul. C'est pour ça que, pour les personnes qui pratiquent beaucoup le Tai Chi, ça vaut la peine de s'arrêter une journée ou deux, pour qu'il y ait une libération qui se fasse. Pour que ce qui a été « travaillé » puisse se mettre en mouvement sans les freins de la mémoire immédiate. La pensée consciente est à la fois un outil « super » pour apprendre, donner des chemins, des représentations, et à la fois un grand handicap. Car, quand elle se fixe sur quelque chose, elle le fige. Il y a donc vraiment un aller-retour permanent entre « se concentrer » pour construire et « lâcher » pour que la construction puisse produire quelque chose dans l'ensemble. 

Question 5 : C'est comme quand on cherche quelque chose. On réfléchit. Puis, on lâche et la réponse vient.

Denis : La réponse vient aussi parce qu'on a eu ce temps de réflexion. C'est vraiment un voyage permanent entre les 2. Il n'y a rien à rejeter. On ne peut pas rejeter la pensée consciente , elle a sa part. On ne peut pas rejeter le travail inconscient, il a sa part. Et c'est vraiment une distance entre les deux qui permet ça.

Si, concrètement, je fais quelque chose avec ma jambe, et que j'entends dire : « C'est trop ouvert, ou trop fermé ou pas « comme il faut » » , je vais changer quelque chose. Je le fais, mais rien ne m’assure de la direction…Mais je n'ai aucun moyen de savoir quel cheminement a fait mon changement. Et donc, j'ai besoin de nouveau du contrôle pour qu'il vienne me dire si les changements que j'opère sont dans une direction intéressante. Sinon, je change parfois vers des choses qui sont de l'ordre de mon confort. Mais mon confort n'est pas forcément quelque chose qui va vers ce que je souhaitais. Mon confort en mangeant des gâteaux devant une mauvaise série, c'est peinard. Mais ça ne va pas forcément vers mon ouverture respiratoire et mon bien être digestif. Donc, j'ai toujours besoin de revenir au mouvement neutre, idéal, pour voir si je vais vers quelque chose, qui a l'intérieur du confort que je découvre, me propose une piste intéressante ou si cela s'en éloigne.

Question 6 : Peux-tu nous parler du muscle soléaire ?

Denis : Vous le connaissez tous, parfois il tire et fait mal. Même si vous ne l'avez pas forcément nommé.


Le mollet (partie superficielle) est fait de 2 muscles, les jumeaux, et au milieu, dessous, il y a le soléaire. Les 3 finissent dans le tendon d' Achille. Le soléaire se sent parfois quand on pratique « Tui Shou ». Le soléaire, en théorie, on ne s'en sert pas en Tai Chi. Il s'étire, parce que c'est lui qui fait l'extension du pied. C'est de lui dont on se sert pour pousser et en repoussant le pied. C'est lui qu'on utilise pour sautiller. Donc en Tai Chi, comme on pose toujours le pied au sol, avec juste le talon très, très légèrement, éventuellement levé, il n'a pas à pousser.

En Tai Chi, on ne pousse jamais. Le soléaire est étiré passivement. S’il vous fait mal, s'il crampe, s'il tire, c'est qu'en fait, il est en train de retenir quelque chose que vous lui demandez de faire et qui n’est pas adapté.Vous le mettez en situation qu'il soit obligé d'empêcher de tomber, parce que vous forciez du mollet. Si vous forcez du mollet, c'est que vous avez le dos qui ne laisse pas descendre la chaîne musculaire postérieure. Le soléaire est toujours en extension, mais en extension passive. On dit « isométrique ». C'est juste un élastique qui retient la flexion de la jambe. Soit, on laisse tranquillement fléchir et il ne fera pas mal, soit on force la flexion et il résiste, soit on pousse avec les pieds et il résiste. Mais on ne comme on ne pousse jamais en Tai Chi. .. On descend toujours tranquillement. Il aide quand on est sur la pointe des pieds à la stabilité des pieds, de la jambe. Mais, on ne se met pas sur la pointe des pieds en Tai Chi. Donc, vraiment il tire comme ça (dessin) et il permet la flexion du pied. Mais on ne s'en sert pas. Chez nous, il est en extension passive.


Question 7 : A quoi sert l'astragale ?

Denis : C'est cet os au-dessus du talon qui reçoit le tibia et le péroné. A quoi sert-il ? L'astragale est un os qui est (sur le schéma du squelette vu de profil) en-dessous (verticalement)de l'os de la tête du fémur, qui est une autre boule. Sur le squelette de profil, on voit l'astragale, la tête du fémur, puis la tête de l'épaule et ensuite l'os de la mâchoire.

Théoriquement,, quand on est debout en équilibre, même en position pliée de Tai Chi, ces 4 os sont alignés. L'astragale a comme fonction de transformer l'horizontale en verticale. Le fémur a pour fonction de transformer le périphérique en quelque chose de central. L'épaule, elle, équilibre le buste et la mâchoire sert à équilibrer l'ensemble, Cette articulation, normalement, si tout va bien, est pile au-dessus de l'astragale. Donc, théoriquement, ces 4 boules sont alignées. La plupart du temps, chez de nombreuses personnes, la tête est en avant, donc l'épaule enroulée en arrière, de manière variable suivant nos déséquilibres. Toutes ces articulations servent à maintenir l'équilibre. L'astragale sert à transformer l'horizontal en vertical, la tête à maintenir l'équilibre. C'est pour ça que, très souvent, les gens plongent la tête en avant. Idéalement, il faudrait qu'ils reculent leur mâchoire et la tête avec , pour pouvoir maintenir l'équilibre


Question 8 : Si c'est difficile de trouver la position au niveau de la tête, n'est-il pas plus facile de trouver la position de l'épaule ?

Denis : Bien sûr qu'il y a des intermédiaires. Mais on ne va pas aller faire quelque chose à un endroit que l'on veut faire bouger. Si je veux faire bouger cet équilibre de la tête, ce n'est pas avec la tête que je vais le faire. Car dès que je vais lâcher, la position initiale va revenir. Donc, en fait (démo de profil), si j'ai la tête en avant et que je force pour la ramener en arrière, ça ne va pas le faire. Par contre si je touche à un endroit qui a un os (comme le sternum), si je fais l'apprentissage de remonter par le sternum, je ne fais rien avec ma tête. Elle va y aller toute seule. La mâchoire n'est pas un élément que l'on « force », c'est un témoin de l'équilibre. Quand je regarde une personne qui de profil a la tête en avant, je vais plutôt l'inviter à relever sa poitrine, ça va relever sa tête. Mais ce n'est pas forcément ça, je peux voir qu'elle a aussi intérêt à « s'asseoir ». Chaque personne a ses équilibres et sa manière de se reconstruire. La nuque doit être complètement libre. Car la fonction de la nuque, quoi que je fasse en bas, c'est de permettre de maintenir l'horizontalité du regard, pour que j'ai l'équilibre. Elle doit être libre car si je me force à être « bien de la nuque », je ne fais que la « bétonner » davantage, et ça ne présente aucun intérêt. C'est toujours ailleurs qu’à l'endroit à changer que l'on peut changer, Comme on a vu cet après-midi, en stage, quand on enroule mieux au niveau de la jambe et du péroné, alors le corps se redresse tout seul, il n'y a rien à faire. C'est pour ça qu'on joue un peu sur tous les points. Car chez une personne, c'est tel élément qui va permettre le redressement et que la personne se sente mieux dans sa position. Chez quelqu'un d'autre, cela ne fera rien ou pas tout de suite, et c'est ailleurs qu'il faudra chercher. C'est l'intérêt d'un «  prof » et la qualité de son regard. Il va parler en termes de « geste à faire plus ou moins adapté »,aspect plus collectif, plutôt qu'en termes de « structure », aspect plus personnel. Dans un cours collectif, on n'a pas toujours la chose idéale pour soi. A chaque cours, il y a des choses qui sont parfois davantage adaptées aux autres qu’à nous-mêmes et vice versa. C'est au professeur de trouver ce qui est le plus collectif, mais ce n'est pas forcément simple.


Question 9 : Si je m'aligne contre un mur ou un bâton, est-ce-que les 4 gonds seront alignés ?

Denis : Pas forcément et le but n'est pas de les aligner à n'importe quel prix. A la fin d'un mouvement ou quand je le fais, je constate qu'ils sont alignés. Ça veut dire que j'ai fait un mouvement qui amène à l'équilibre. Mais, aligner en fin de mouvement, en corrigeant, ça ne va jamais rien m'apprendre, si ce n'est que je n'étais pas bien. En Tai Chi, on ne fait pas de postures mais du mouvement. Ce qui fait que si on met le bâton pour être sûr que le mouvement est droit, on enlève du mouvement, donc, c'est contre-productif car on va se forcer à être un bâton.

Par exemple, si je fais le mouvement de la marche (démo). Je me regarde et j’observe. « Est-ce-que la boule de ma mâchoire est au-dessus de la boule de l'astragale ? Est-ce-que la boule de la hanche est au-dessus du pied ? » Non. Alors je me dis : « Tiens, il faut peut-être que j'avance plus vite le bas, etc... Et c'est des choses qui vont me faire repérer que je n'ai pas fait le mouvement. Mais je ne peux pas m'obliger à avancer ou à reculer à la fin et penser que le mouvement sera « bien ».

Je vais plutôt voir où j'en suis à l'arrivée et voir ce qui n'a pas été pour repartir autrement la fois suivante.

Pour les débutants, on fait la correction à la fin de la posture pour qu'il y ait comme une photographie à un moment du projet. Mais le vrai travail n'est pas dans la posture, il ne peut être que dans le mouvement. C'est pour ça qu'il faut avoir des repères par moment, un endroit qui puisse nous aider à évaluer si quelque chose a été fait trop tôt, si ce n'est pas parti du bon endroit, etc... C'est lent parce qu'on a ces « habitudes » dont nous avons parlé qui nous amènent toujours dans le même mouvement et dès lors parfois on manque un peu de curiosité pour s'amuser : « Tiens, si je faisais autrement pour voir ? » Par moment on a des perceptions et on joue avec, c’est beaucoup de jeu, il faut beaucoup de curiosité pour que ce soit amusant. Si c’est trop sérieux, on fige. Quand je m’approche de quelqu’un en cours, à sa demande, tout d’un coup la personne « bétonne » partout. Ce qu’elle faisait « bien » jusque là, s’arrête … Il faut faire attention à des repères très « neutres » pour que la globalité du mouvement puisse quand même se faire. On peut utiliser le bâton pour montrer et photographier le fait que ce n’était pas lié. Et dès que la photo est intériorisée, abandonner le bâton et laisser le mouvement. Je reprends ce que je disais au début : Avoir l’attention, intérioriser, contrôler, et quand l’idée s’est installée que c’est possible, (quand le germe est là), que c’est intéressant, alors là, lâcher pour aller vers …



Question 10 : Lien entre le Chi Cong « Pas de l’ours » et YinYang dans le mouvement

Denis : C’est une question qui frise l’impossible réponse pour moi. D’abord les temps YinYang, espace et outil pédagogique, n’ont rien à voir avec YinYang pour de vrai. Les choses sont beaucoup plus « mêlées » que ça. La personne qui a posé la question dit ce qu’elle ressent dans les temps. Il faut qu’elle expérimente ça. Si elle est mieux avec, c’est bien. Si elle n’est pas mieux avec ça, c’est une autre curiosité qu’il faut développer, un autre cheminement. Je ne réponds pas car ce serait une leçon qui n’a pas de sens pour moi. Par contre, pour la personne qui pose la question, c’est un outil de recherche et c’est intéressant. Qu’est-ce-que ça fait sur son souffle quand elle fait ça ? Ça fait du bien ? Est-ce-qu’au contraire ça ferme son souffle ? Le pas de l’ours, c’est un jeu pour bouger la troisième lombaire, ça n’a pas à voir directement avec YinYang.



Question 11 : J’aime bien fermer les yeux dans la pratique. Yeux ouverts, yeux fermés ?

Denis : Pour les chinois, pour cette question, l’idée serait de ne jamais fermer les yeux, ne jamais les ouvrir (au sens de focaliser sur l’extérieur) non plus. Ne pas fermer les yeux car l’existence est un échange d’odeurs, de sons, d’images. Donc fermer les yeux c’est faire des choses pour soi, sans échange avec l’extérieur. Ce n’est pas quelque chose qui est considéré comme généralement positif. Ainsi, par exemple, les non-voyants n’ont pas l’appui de l’espace. Ils ont la tête en avant car rien ne les appuie devant, et ce n’est pas idéal pour le souffle. Et en fait on ne s’en rend pas forcément compte quand on est séparé du monde, mais on s’appuie sur l’espace. Personnellement, je fais un Tai Chi beaucoup plus profond en moi quand j’ai une très grande vue devant. Plus j’ai une vue qui va pouvoir s’appuyer loin et mieux je sens que je vais pouvoir rentrer en moi. Il y a vraiment cet échange-là. Attention, en revanche, s’appuyer sur l’espace, ce n’est pas le regarder pour s’en emparer. C’est juste quelque chose qui fait que je m’appuie. Et voilà, je suis prêt à le recevoir. Après, si c’est un coup de poing qui arrive comme dans la martialité …c’est un coup de poing. Si c’est un oiseau qui passe, c’est un oiseau, un son … Pour moi, c’est une nécessité, ne serait-ce que pour l’appui, pour ne pas pencher en avant… D’ailleurs, on peut essayer là, à l’instant.. Si j’appuie mes yeux sur le paysage et que je les laisse « reculer » vers l’arrière, ma tête se redresse complètement, naturellement. Si je ferme mes yeux, je vais avoir tendance à effondrer un peu la respiration et à creuser les cervicales. En m’appuyant sur l’écran, je me redresse avec beaucoup plus de facilité et aussi je me sens mieux respirer. Alors que si je n’ai pas cet appui, il manque l’appui du monde, on est séparé du monde. Mais c’est peut-être quelque chose de plus général ou intéressant pour toi d’être dans cette séparation et non dans l’échange à certains moments. Je ne veux pas dire que tu n’échanges pas beaucoup avec le monde, mais là, il y a un lien. En revanche, il ne faut pas non plus que le regard soit focalisé : ce serait être tout projeté dehors. Il faut voir sans regarder. C’est aussi le meilleur moyen d’avoir une ouverture à 270 degrés. C’est vraiment un travail. Justement, les personnes âgées qui ont la nuque qui se raidit, qui ont le regard qui se précise pour arriver à lire dans le journal, voient leur champ rétrécir progressivement. Car elles n’ont plus cette ouverture du regard. Mais si elles ouvrent « grand » et font les exercices des yeux, elles peuvent parfaitement récupérer un champ visuel normal ou presque,

Histoire des deux moines (quelques piques entre pensées): Un moine zen et un moine taoiste méditent ensemble. Au bout d’un quart d’heure, le moine zen dit au moine taoiste : « Superbe, j’étais dans un champ là-bas au loin, j’ai vu une superbe petite fleur jaune, pleine de spiritualité. » Alors, après un petit temps, le moine taoïste dit : «c’est celle-là ? » Et il lui montre la fleur jaune. C’est ça la différence. Pour le moine taoiste, le monde est là. On ne part pas dans une transcendance.
Le monde est là et on est dans l’échange. C’est vraiment ma sensation. On respire le monde avec les autres, on respire les autres. On respire leur CO2, leurs sourires, leurs images. On est tout le temps dans des « objets » vivants.


Question 12 : Quelle est la responsabilité de l’enseignant face à quelqu’un qui se rigidifie ?

Denis : Ce n’est pas gênant de générer transitoirement ça. Il ne faut pas que ça se globalise.

C’est souvent la première étape. Quand on cherche à faire bien, on ne peut pas y échapper. La deuxième étape, c’est d’amener des curiosités ou autre chose. L’attention de la personne va se relâcher, puis le temps va passer, il va y avoir la nuit, etc...On ne peut rien obtenir, même soi, de soi. On trouve quelque chose, puis … plus rien. Et même si je « force » dessus pendant une semaine et de ce fait, je me mets à avoir mal quelque part, il ne se passe rien. Et, tout d’un coup, ce qui a été travaillé vient. Parce que ça a été débroussaillé autour, ou alors à un moment du mouvement ça survient.

C’est un peu comme quand un enfant apprend à écrire. Il commence par de la gravure, ses doigts sont tout blancs. Et à un moment donné, il n’est plus devant le professeur, il a juste envie d’écrire à une copine, alors il se met à écrire avec fluidité. C’est comme ça que ça marche. Bien sûr, je me sens complètement à l’origine d’une « rigidification » ponctuelle transitoire pour arriver à focaliser sur quelque chose. Plus on est au milieu de quelque chose, moins ça peut bouger et plus tout le reste est libre.

Quand on regarde un os, tout d’un coup on est dans sa représentation et ça fige. Mais tout le reste est libre pendant ce temps-là. Ensuite quand tu vas aller ailleurs, et ça va pouvoir bouger, avec une représentation qui aura ouvert de nouvelles possibilités. Ce sont des mécanismes pédagogiques. Il faut aussi apprendre ensuite le « laisser circuler ! »




Fin de la rencontre


Illustrations : Le chat/Geluck

Moi, mon chat et le plaisir des jours/Laoshu








Auto- massage global

 
S'asseoir dans une position confortable.
Se centrer, respirer paisiblement.
 
1 Les bras
Se masser doucement en faisant des cercles du bout des doigts jusqu'à l'omoplate derrière le dos
puis revenir en faisant le chemin inverse.
On fait 3 passages en massant avec des petits cercles puis 3 passages en tapotant puis 3 passages en gardant la main à distance.
Sur la montée on peut inspirer et sur la descente expirer.
Le fait d'amplifier la respiration et de la régulariser participa au bien-être.
On fait le bras gauche puis le bras droit.
 
2 Les mains
On se masse les mains puis on prend chaque doigt l'un après l'autre et entre le pouce et l'index on fait rouler la peau, puis on pince à la base de chaque ongle.
On masse particulièrement le point du milieu de la paume '(celui du poil dans la main)
3 On tapote les côtes avec le bout des doigts, on tapote derrière avec les poings.
On frotte le sternum. On essaie d'attraper ses doigts derrière son dos (la queue de la vache)
 
4 La tête
On tapote le crâne,, le visage et le cou en faisant des grimaces, on frotte ses mains pour poser les paumes sur les yeux (palming, sans toucher les yeux, petite cuvette)
On appuie sur tous les points sur l'os orbital et on presse au coin des yeux avec les pouces.
On frotte les ailes du nez, on appuie sur les coins, on fait jouer les mâchoires, on rabat les oreilles en appuyant et on relâche, on frotte derrière les oreilles.
 
5 Les jambes
Idem que pour les bras.
Puis on appuie dans la gouttière du péronné et du tibia, on tapote les checilles et les genoux.
Pour les pieds, on les malaxe longtemps, on appuie sur tous les points de la voûte plantaire et surtout sur le point du centre « énergie jaillissante »
Et on masse chaque orteil.
Puis on tapote les fesses, et on finit en massant le ventre : 60 touts dans le sens des aiguilles d'une montre en appuyant avec les deux mains.
On reste en silence une minute en suivant pour ressentir comment on est.
La respiration très ample est essentielle dans cet exercice.


DO IN (auto-massages)

Pour ceux qui le souhaitent et pour un peu de pratique quotidienne, je vous propose un mémento du Do In que nous pratiquons en début de séance.
A pratiquer sans modération matin et/ou soir

Repères :
- Position des doigts pour pression : majeur sur index – exercice repéré avec *
- 3 pressions au moins / exercice
- Exercices à faire du côté gauche vers droit pour dynamisation (matin) et de droit vers gauche
pour calme (avant sommeil)
- Jamais jusqu’à l’inconfort

1. Tête
- Cuir chevelu – mains croisées
- Nuque – étirer la peau
- Cou – frotter de haut en bas
- Base du cou – pression* modérée point au creux du sommet sternum

2. Cou
- Étirements cou droite/gauche, devant/derrière, en cercle

3. Épaules
- Menton sur poitrine – lever les épaules et les relâcher complètement
- Regard vers plafond – même exercice
- Rotations interne / externe

4. Bras (un bras après l’autre – prendre le temps de sentir les changements entre les 2 bras)
- Frotter en partant du dos de la main – extérieur bras en remontant – contour épaule –
intérieur bras en redescendant jusqu’à paume
- Tapoter avec poing détendu – même trajet
- Tirer le trapèze vers l’avant avec main opposée
- Pression* milieu trapèze
- Pression base deltoïde
- Pression au-dessus du coude – même ligne que point précédent
- San Li – environ 2 cm sous le coude – sur avant-bras : séparation des 2 muscles –douloureux
- Massage avant-bras (pouce-index de part et d’autre) : expiration vers le poignet – inspiration
au retour vers coude
- Intérieur avant-bras : 4 doigts sous poignet – pression avec pouce => fait fermer la main
- Milieu poignet
- Milieu main (poil)
- Attraper partie charnue du pouce avec la pulpe des 4 doigts
- Fond de la vallée : point charnu entre pouce et index – dos de la main
- Phalanges : tourner 1ères phalanges des doigts (pas pouce, car trop fragile) – pression 2ème
phalange – pression 3ème – appui de chaque doigt vers arrière
- Secouer la main

5. Haut du corps

- Tapoter cage thoracique avec bouts des doigts – puis frotter pour arrêter les vibrations
- Poings fermés détendus – tapoter ligne sternum / estomac / tan tien / séparer poings vers
fessiers / remonter dans le dos / masser les reins
- Base sternum : frotter le creux et suivre la ligne inférieure des côtes
- Masser activement ventre autour nombril dans sens horaire
- Masser ventre en faisant des zigzags depuis côtes jusqu’à pubis
- Doigts sous les côtes : à l’expiration enfoncer un peu plus les doigts pour massage organes
internes
- Mains dans le dos : pousser les mains vers l’avant comme pour faire une brasse

6. Bassin

- Rotations autour de l’axe défini par tête/point médian entre jambes

7. Jambes
- Tapoter poing fermé détendu une main sous la fesse, l’autre sur l’extérieur de la jambe – vers
le bas – contour malléole – remonter les 2 mains sur l’intérieur de la jambe
- Masser masse charnue au-dessus de la rotule puis au-dessous
- Séparer entre pouce et index le tibia des muscles de la jambe
- Depuis le cheville en remontant sur le mollet, séparer les muscles du mollet avec les 4 doigts
– redescendre sur face avant de la jambe avec les mains à plat de part et d’autre du tibia
- Masser derrière le genou
- San Li : pression 4 doigts sous la rotule – extérieur tibia
- Pression 2/3 extérieur tibia
- Masser tendon d’Achille

8. Chevilles – bassin
- S’accroupir : pieds largeur d’épaules, parallèles – talons au sol => s’arrêter avant décollement
des talons

Bonne pratique à tous !






2 commentaires:

  1. Salut Françoise
    ton implication fait chaud au cœur
    Bien vu d'alimenter la cohérence du groupe

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    1. Merci!
      J'aimerais bien savoir qui est en train d'apprendre la forme au bâton. On pourra bientôt échanger sur ça aussi :)

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